• 7. NE POURRAIT-ON PAS FIXER LA SAINT-SYLVESTRE AU 15 AOUT, AFIN QUE LE PERE NOEL EVOLUE ENFIN DANS LES CHEMINEES ETEINTES ?

     

     

    Janvier 1991

    Scarlett n’avait encore jamais passé une  Saint Sylvestre aussi médiocre. Isobel et Carla firent des pieds et des mains pour se produire sur scène. Mis à mal par ses apprentis castafiores, plus d’un convive déserta la salle, craignant de perdre l’audition.  Non dupes, se sentant terriblement humiliées,  elles tirèrent la tête jusqu’à la fin des vacances.  

    Mais les jumelles n’était qu’en partie responsable de son état. Son cerveau était l’unique fautif. Ce dernier lui renvoyait constamment son entretien désastreux avec Mrs Bergson. Incapable de lutter, elle se remémora ses actes durant ses deux semaines de repos. Pourtant, elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas décevoir cette très chère Mrs Bergson. Elle déserta la bibliothèque, incapable de s’y concentrer, pour se loger dans les écuries. Allongée dans le foin, elle ingurgita pas moins de six matières plus aisément qu’elle n’y croyait. Toutefois, elle restait peu confiante quant au rendu de ses efforts, croisant les doigts pour obtenir un B dans au moins une de ses matières principales.  

    Si jadis, on avait affirmé à Scarlett que son avenir à Sainte-Bernadette ne tiendrait plus qu’à un fil, elle vous aurait ri au nez, sorti un de ses discours de petite fille polie et bien-pensante avant de vous jeter ses Cap'n Crunch's à la figure.  

    Les résultats avaient été affichés à l’aube mais, tétanisée, elle restait figée, là, comme un de ses mannequins postés en vitrine d’un magasin, face à ce panneau minable. Tant pis… songea-t-elle.  Une troupe de terminales s’y agglutinait déjà de toute façon.  

    Sa conseillère d’orientation avait-elle déjà eu vent de ses notes ? Peu importe. Son père, styliste en vogue à qui l'on devait la veste kimono printemps:été, passait sa vie dans son jet privé à survoler les océans.  Il était probablement en chemin à l’heure actuelle.. Elle se représenta son visage soucieux, vieilli de dix ans à l'annonce de cette nouvelle assourdissante. Ses espoirs envolés en un coup de fil. Où l’expédierait-il ? Devait-elle monter faire ses valises ?  

    Scarlett replaça soigneusement ses mèches rebelles et s’avança péniblement vers le tableau, prête à voir débarquer à toute volée un Olaf Van Büren intraitable. Cependant, il n’en fut rien. Certes les portes battantes s’ouvrirent mais son père n’avait rien à voir là-dedans.

     Lorsque vous intégrer une école comme Sainte-Bernadette, votre arrivée peut faire des émules. C’est ce que provoquait chacune des apparitions d’Hortense Abbatucci, Constance de Louvière et Chloé Bentzmann. A la pointe de la mode et héritières des plus grosses fortunes françaises, elles avaient tout pour elles et le monde à leurs pieds. Le synthétique n’avait pas sa place dans leurs dressings, de même que les fils de petits fonctionnaires qui n’attendaient que de s’y nicher. Leurs fréquentations se réduisaient aux membres d’une certaine élite et toutes les trois figuraient dans le top des meilleures têtes pensantes de l’école. Un point étonna toujours Scarlett : bien qu’elle ne rentrait dans aucune de ces cases, Victoria avait su gagner sa place auprès d’elles. A l’initiative de nombreuses soirées confidentielles dans lesquelles la gin coulait à flots, ces miss perfection s’unissaient pour connaître les secrets les plus intimes des pensionnaires, parfois même, elles les réutilisaient pour faire valoir leurs intérêts, en veillant à acheter le silence de Marie-Jane Klopstein. Dans un premier temps dupées, la plupart des résidentes désertèrent peu à peu ces maudites fêtes, préférant rester en petit comité. Assises sur leurs petits lits douillets, les plus jeunes d’entre elles découvraient les joies du maquillage tandis que les plus avides d’entre elles s’essayaient aux Luckies aromatisées.  

    « V est une vilaine menteuse ! » placarda Hortense sur le casier de Victoria. Voilà les désagréments auxquelles fréquenter une école non mixte menait : d’éternelles coups bas. Une fâcheuse habitude coutumière qui se perpétuait de décennies en décennies jurant avec les valeurs défendues par l’établissement.  

    — Hé Van Büren ! l’interpella Marie-Jane, Bertille s’est blessée lors de l’ultime match, tu la remplaces. Alors ne te défile pas, je compte sur toi pour assurer Vendredi, capish ?  

    En plus d’endosser à la perfection son rôle de préfète, Marie-Jane Klopstein, excellait en tant que capitaine de l’équipe de soule. Multi-tâches ses compétences avaient le don d’en agacer plus d’une mais pas Scarlett, admirative de sa force de caractère.  

    Attendez une minute.

    Avait-elle bien entendu ? Marie-Jane lui offrait-elle officiellement une place dans l'équipe ? Ses examens n’étaient-ils pas aussi catastrophiques qu’elle l’imaginait ?  Marie-Jane aurait très certainement été avertie si le conseil d'administration avait convenu de son départ. Subitement, l’espoir l’anima. Ses mocassins, lentement, avancèrent vers le tableau.  

    — Mademoiselle Van Büren est attendu au pôle orientation. Je répète Mademoiselle Van Büren, l’interrompit, dans sa lancée, le haut-parleur.  

    Aie. Toute l’excitation qui s’était emparée de son être à l’instant fondit comme neige au soleil. Allait-on l’expulser alors qu'on lui proposait afin de mener le prochain match ?  Une sensation étrange la gagna, qu’elle s’était toujours arrangé d’enfouir précieusement, comme si elle ne voulait pas s’avouer un fait impardonnable. Elle avait peur de quitter cette vieille demeure. Maintenant qu’elle se trouvait au pied du mur, elle se sentait idiote d'avoir raisonner ainsi. 

    Oui…

    Il n’y avait aucune honte à aimer cette école après tout.  Les valeurs véhiculées et les méthodes employées en firent fuir plus d’une mais Scarlett n’était en rien comparable à Victoria.

    Des regards interloqués se tournèrent vers elle. Scarlett connaissait parfaitement cette expression, cet œil suspicieux l’accusait silencieusement des pires maux.

    L'espèce d'un instance, elle avait oublié que la paranoïa régnait en maître. Toutefois, elle se fichait de ce que pouvaient bien s’inventer ces reines des abeilles. Tout ne tournait pas autour de Victoria.  Être convoquée dans le bureau de la principale ou de Mrs Bergson n’avait pas forcément un rapport quelconque avec la disparition de cette dernière année. Et ce, contrairement à ce que sous-entendit la moitié du village ainsi que le message laissé par Bo, l’ADN de Victoria ne correspondait pas aux restes démembrés retrouvés dans les fourrés. Quand la jolie chinoise entendit la nouvelle, la colère l'envahi si bien qu'elle  passa ses deux dernières semaines à polluer la radiomessagerie des filles. Très vite lassée par sa rancœur et son petit manège, Scarlett finit par ne plus lui répondre et se rendait régulièrement chez les Oberkamft. Elle y trouvait une sorte de réconfort et s'évertuait à s'y rendre, même en l'absence de Cordélia. Elle jouait alors avec Hypollite qui faisait d'elle son cobaye. Elle pensait que ces multiples visites l'inciteraient  à raconter à son amie son échange houleux avec leur conseillère d’orientation tout en lui faisant part de son passage à vide. Mais à chaque fois qu'elle voulait aborder le sujet, elle se fermait comme une huître.  Incapable de mettre un mot sur son attitude, il était impossible pour elle de l’exprimer à haute voix.

    Pourtant, elle restait sûre d'une chose. Même si elle se sentait totalement perdue, à la recherche de sa véritable identité et d’un but dans sa vie, elle ne voulait pas faire une croix sur Sainte-Bernadette. Cette école était son exil.  

    Alors non ! Elle n’abandonnerait pas, assumerait ses torts et s’il fallait les réparer, elle s’exécuterait, peu importe ce qui lui en coûterait. Déterminée, elle s’élança vers son destin.  


  • Commentaires

    1
    Lundi 15 Janvier 2018 à 20:06

    Merci beaucoup pour ce nouveau chapitre toujours aussi passionnant. Heureuse de savoir que ton absence était dû à ton travail et non à un problème. J'espère qu'un jour tu pourras vivre de tes écrits. Bonne soirée.

      • Dimanche 21 Janvier 2018 à 15:08

        Merci c'est très gentil. Je poste le chapitre 8 et très vite je compte faire une petite surprise.



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