• Assise sur le plan de travail de la cuisine vert d’eau, Liv Hoffmann avala une cuillère de miel en se bouchant le nez. Rien que la texture la dégoutait.  Ses boucles anglaises, brou de noix, étaient tenues par un bandeau bleu wax, mettant parfaitement ses yeux gris perle en valeur.  

      

    — JOYEUX ANNIVERSAIRE ! couina Cäcilia Vogt, les bras chargés de sacs en carton. 

      

      

    — Pourquoi ton nez rassemble-t-il à une Corne de Bamberg ? l’interrogea-t-elle à bout de souffle. 

      

    Epuisée par son après-midi shopping, elle laissa tomber au sol ses emballages. Robes vintage, bijoux en toc et maquillage bon marché se déversèrent sur le carrelage en damiers pastel.   

      

    —  C’est ce fichu pollen ! 

      

    Cäcilia plongea sa main dans le saladier en verre remplie de Pop-corn. Elle avait un appétit d’ogre ces derniers temps. Dieu soit loué, son corps ne montrait encore aucun signe d’excès.  

      

    — Mes vingt-cinq ans sont fichus. Je ferais peut-être mieux de plonger la tête dans une marmite. Au moins, ça ne pourrait pas être pire. 

      

    Les yeux en amande de Fiekchen Grünewald s’écarquillèrent telles deux billes.  

      

    — Je peux savoir ce qu’il s’est passée ici ? Vous n’en êtes pas venues aux mains, tout de même ? 

      

    La jeune femme manipulait nerveusement sa montre bracelet Lavaro en cuir véritable noir.   

      

    — NON ! hurlèrent les filles à l’unisson.  

      

    Fiekchen renifla sa mèche blond vénitien. Hören n’avait beau compter qu’un seul coiffeur, elle devait reconnaître qu’il faisait des merveilles. Ou plutôt le masque réparateur Shu Uemura, que lui appliquait Helmut. Même si le désespoir de Liv était compréhensible, elle ne comptait pas passer sa soirée à se morfondre. Il en était hors de question ! 

      

    — Prêtes pour une nuit frivole et des plus étranges ? 

      

    Cäcilia tapa dans ses mains, excitée comme une puce.  

      

    — Où va-t-on ? l’interrogea Liv. 

      

    A cette annonce, une lueur se raviva dans ses yeux.  

      

    — Surprise ! 

      

    Fiekchen gloussa. Comme c’était bon de faire des cachoteries !  

      

    — Apporte ces sacs Cäcilia, j'ai une petite idée.  

      

    Cette dernière s’exécuta sans rechigner. Liv quitta le plan de travail, gagnée par la curiosité. Elle n’allait surement pas passer sa soirée à se ronger les sangs pour un stupide rhume ! On ne célébrait pas ses catherinettes tous les jours nom d’une pipe ! 

      

    — Et si nous te bandions les yeux ? Lança Cäcilia à l'intention d’une Liv, dubitative.  

      

    — Excellente idée, renchérit Fiekchen. 

      

    — Et si on mettait un peu de musique ? 

      

    — Kim Carnes ou Cindy Lauper ? Hurla Liv à l’autre bout de la pièce tout en se débattant avec la platine vinyle de son père.  

      

    — Girls Just Want To Have Fun est le titre qu’il nous faut ! Léger mais pétillant, le combo parfait pour nous maintenir éveillées jusqu’à l’aube.  

      

    Fiekchen avait toujours eu la manie de se considérer comme une meneuse. Et ce en tout domaine ! Elle se plaisait à diriger ses petits soldats d’une main de maître. Mais, elle n’en était pas moins l’être le plus adorable au monde ! Bien au contraire. Il était inconcevable de lui résister. Sa constitution toute entière était faite en ce sens. Ses lèvres légèrement bombées, son mètre soixante-dix de mannequin et ses yeux émeraude criaient haut et fort, aimez-moi.   

      

    Fiekchen fouilla dans son sac à main en perle déniché aux puces de Saint-Ouin lors de son récent séjour à Paris.  Elle râla incapable de mettre la main sur ce fichu rouge à lèvre.  Elle était persuadée qu’une couleur un peu orangée raviverait le teint clair de Cäcilia. Liv, elle n'en avait pas besoin, une touche de gloss illuminerait ses boucles noires et sa peau métissée.  

      

    — Où suis-je supposé poser cela ? 

      

    — Magnus ! On attendait que toi ! 

      

    Un blondinet, de légères taches de rousseur sur les pommettes et d'une grandeur légendaire, foula le hall d’entrée les bras chargés de bûches.  

      

    — Un bon feu nous fera le plus grand bien.  

      

    Il se frotta les mains, frigorifié, faisant cliqueter ses bagues en or.  

      

    — On est au printemps Mag’. Allumer un feu serait totalement ridicule ! 

      

    — Vous avez mis le nez dehors avant d’avancer des idioties pareilles ?  

      

    — Pas besoin, rétorqua Liv, mon odorat parle pour moi. 

      

    Magnus leva les yeux au ciel. Il accrocha son bonnet sur le porte manteau, laissant sa chevelure dorée à l’air libre. Les filles en faisaient toujours des caisses pour pas grand-chose.  

      

    — Le temps est à faire fuir un mort. Le vent s’est levé d’un coup et regarder le ciel. Regardez-moi le ciel. On dirait qu’il va nous tomber sur la tête.  

      

    — N’importe quoi, le tana Fiekchen, j’ai passé ma journée en ville et tout était des plus normal.  

      

    Magnus haussa les épaules. Elle n’avait qu’à mettre un pied dehors, elle verrait bien. Et si elle s’envolait comme un vulgaire ballon de baudruche, il ne lui courait surement pas après pour la rattraper. Et hop un aller simple pour la lune ! 

      

    Cäcilia se dirigea vers la fenêtre, une nouvelle sucette à la bouche, à la cerise cette fois. C’est fou comme elle ressemblait à une adolescente tout d’un coup.  

      

    — Mag, dis vrai !  

      

    Les arbres en fleurs vascillaient au gré des rafales. Le vent était si fort qu’il aurait pu déraciner les troncs sur le champ 

      

    — Alors, quel est le programme ? Demanda-t-il, les bras croisés.  

      

    — C’est une surprise, le coupa liv, doigt sur la bouche, un peu pompette.  

      

    Elle venait de s’enfiler trois Gin Tonic à la suite et elle était aussi excitée qu’une puce.  

      

    — Mag’, dansons ! Lui ordonna-t-elle du ton le plus convainquant qu’elle trouva. 

      

    Il la regarda dubitatif. Cette attitude enjouée la sublimait. Elle illuminait la pièce tel un rayon de soleil, éclipsant tout ce qui l’entourait y compris Fiekchen 

      

    Liv monta le son. Les baffes crachait “like a virgin si fort que les murs en tremblaient. Cela provoqua l’hilarité des filles qui l'accompagnèrent sans sourciller.  

      

    Liv agitait les bras avec maladresse tel un singe, secouant la tête de gauche à droit au rythme du tempo. Elle fit signe à Magnus de la rejoindre. 

      

    — Pas moyen, articula-t-il entre ses lèvres.  

      

    Il bougea à la négative son index pour se faire comprendre. 

    Danser sur du Madonna était le truc le moins hétéro qu’il soit. Il savait que s’il se joignait à cette mascarade, il en baverait pour le reste du semestre.  Les filles cafteraient très certainement et tout le village serait vite au courant de cette soirée. Alors, non ! Hors de question qu’il se déhanche sur la  Madonne nationale. Aussi célèbre soit-elle.  

      

    — Bois, ça va te décoincer un peu. 

      

    Cäcilia lui tendit un verre au contenu douteux. Il le but d’une traite. “Pas si mauvais” pensa-t-il.  

      

    — C’est quoi la suite ? Les interrogea-t-il, plus détendu. 

      

    — On attend vingt-deux heures, lui souffla Cäcilia dans l'oreille. Tu en veux ? 

      

    Elle brandit sa sucette.  

      

    — Non, sans façon.  

      

    Décidemment, cette soirée valait le détour. Il n’avait jamais vu ses amies dans un tel état et il sentait qu’il serait le prochain sur la liste. 

      

    — Un poulet, ça vous dit ? 

      

    Liv s’était emparée des maniques à pois qui trainait au-dessus du four. Ses yeux pétillaient, quant à son estomac, il hurlait famine. 

      

    — Je meurs de faim, répondit Cäcilia. 

      

    Elles gloussèrent ivres.  

      

    — Un autre Gin Tonic ? 

      

    Fiekchen attrapa le saladier vide et y versa une bouteille entière d’alcool. Elle y ajouta quelques rondelles de citron, trois cuillères de grenadine, du jus d’orange et des pommes fraichement mixées.  

      

    — Mag, à toi l’honneur, tu m’en diras des nouvelles ! 

      

    Il remplit son verre, en but une gorgée et se dirigea vers Liv pour lui prêter main forte. Cuire un poulet relevait du défi. Elle lui adressa un sourire ultrabright sublimement mis en valeur pour un gloss naturel. 

      

    — Et si tu le badigeonnais un peu ? 

      

    — Le quoi ? 

      

    — Tu prends un pinceau, un peu d’huile et tu laisses le tout pénétrer sur sa peau. Comme ça.  

      

    Liv se pencha sur la table en bois, la tête entre les mains, subjuguée par le jeune homme. Ses doigts dégageaient de la magie. Ou bien était-ce les effets de l’alcool ? Peu importe, elle était envoutée.  

      

    — J’ai une bien meilleure idée !  

      

    Fiekchen remuait un prospectus or et rouge. Ce dernier annonçait l’ouverture d’un cirque ambulant plongé dans les années vingt 

      

    — Et si nous allions y faire un tour 


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